Un possible dialogue

Notre monde est marqué par ces nombreuses fractures qui divisent et dressent les hommes les uns contre les autres. Il est aussi le lieu où surgissent des petites oasis de dialogue et de fraternité.

Dialogue, Étymologiquement : se laisser traverser par la parole de l’autre. Cet Autre qu’est Dieu, mais aussi cet autre, mon frère.

Le dialogue, lieu où en découvrant « l’autre » on se découvre soi-même, on découvre son humanité, son identité. Expérience à laquelle, nous sommes tous conviés, exigence pour l’Eglise toute entière. Depuis le dernier concile Vatican II, les positions de l’Eglise sur ce sujet sont claires et les rappels nombreux. Voir « Gaudium et spes » (Constitution pastorale, de l’Eglise dans le monde de ce temps). « Nostra Aetate » (Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes), « Ecclesiam Suam » de Paul VI, ou plus récemment, la dernière encyclique du Pape François « Fratelli Tutti ».

Une Eglise qui confirme son intention sincère et profonde du dialogue dans les voyages en pays musulmans du Pape François et les nombreuses initiatives d’évêques dans leurs diocèses. Aux Emirats Arabes Unis où se sont rencontrées les deux plus hautes instances morales et spirituelles de la chrétienté et de l’Islam, c’est-à-dire le Saint-Siège en la personne du Pape et le Rectorat de la Mosquée d’AL Azhar, en la personne du Grand imam le cheikh Ahmad El Tayyeb. Ou encore en Irak où le Pape invite au dialogue et à la fraternité.

Dialogue qui pose la notion du « vivre ensemble » : estime, respect de l’autre, des différences. Aimer l’autre tel qu’il est, c’est l’aimer de l’amour même de Dieu

Lors d’une rencontre d’ « Ensemble avec Marie » aux Bernardins, en mars 2017, Mgr Jérôme BEAU précise :

« La rencontre entre musulmans et chrétiens est capitale pour le monde d’aujourd’hui. L’enjeu en est la paix. L’enjeu, c’est que, hommes et femmes de bonne volonté, nous en soyons les acteurs.

Le dialogue interreligieux doit toujours éviter deux écueils :

Le premier écueil que nous devons éviter serait de s’engager dans un chemin d’affirmation de nos identités. Le chemin identitaire est marqué par la peur. C’est lorsque nous avons peur de l’autre que nous nous enfermons dans un tel repli. C’est aussi le signe que nous n’avons pas trouvé en nous le chemin de la liberté, de la liberté intérieure, de la liberté véritable.

Le deuxième écueil est celui du syncrétisme, qui nous ferait croire que finalement, nous croyons tous pareil, et que nous sommes tous d’accord. Le syncrétisme est une source de conflit entre tous les hommes parce que personne ne s’y reconnaît et personne ne se sent respecté dans son chemin ni dans ce qu’il porte en lui.

Il y a un troisième chemin, celui de la fraternité. La fraternité ne demande pas le semblable mais une altérité de communion et de respect. C’est cela l’enjeu : trouver le chemin de l’altérité et de la communion ».

La Paix, un avant-gout du Royaume !

Il y a un très beau texte de saint Augustin, qui s’adressant aux chrétiens, fait un « éloge de la paix ». Paroles qui pourraient très bien convenir à la construction de la paix entre frères de confessions différentes. Saint Augustin nous dit : « Amant de la paix, ouvre les yeux et délecte-toi, le premier, dans la beauté de ta bien-aimée et sois plein d’ardeur pour en gagner un autre à ses charmes. Qu’il voie ce que tu vois. Qu’il aime ce que tu aimes, qu’il tienne ce que tu tiens.

Certains dont St. François ont suivi ce chemin (on peut se souvenir de cet épisode où François va au-devant du sultan musulman Malik al Kâmil à Damiette pour bâtir la Paix). D’autres encore plus près de nous (Charles de Foucault, les moines de Tibhirine, le nouvel archevêque d’Alger, Mgr Jean-Paul Vesco…).

Il est là ce troisième chemin dont parle Mgr Jérôme Beau, celui de la fraternité avec nos différences. Ce chemin qui développe en nous le désir de faire de la rencontre un chemin d’amitié. Jésus n’a-t-il pas dit à ses disciples : « je ne vous appelle plus serviteur, mais amis ? ».

Un chemin qui n’efface pas nos différences, mais en fait un levier comme le dit si bien notre frère Olivier, diacre à Viviers, dans cet extrait d’homélie :

« La différence ne devrait jamais être une raison pour exclure, mais plutôt une occasion pour rassembler, pour saisir la relation. Une ode à la confiance. La différence n’est jamais une menace pour soi-même, à la condition exclusive de savoir où l’on prend racine. Pour moi, mes racines sont le Christ. Pour d’autres, elles seront Bouddha, Allah, ou encore l’engagement dans un humanisme laïc. Il ne m’appartient pas de poser un jugement là-dessus. Je mesure simplement le manque que doit occasionner pour des hommes de ne pas confesser le Dieu de Jésus-Christ, le manque de ne pas fréquenter Jésus dans une relation quotidienne et privilégiée.

Le respect de l’autre ne contraint pas, n’interdit pas, ne profane pas l’identité des êtres. Il est estime, allié à une grande mansuétude. Ce don-là est encore un don de Dieu. J’aimerai que tous ensemble, nous puissions du fond de notre conscience, peser ces mots. Ils engagent les chrétiens que nous sommes. Nous ne pouvons pas nous dire chrétien si nous doutons de ces propos.

« Nous ne pouvons pas permettre que la lumière du ciel soit couverte par les nuages du mépris et de la haine » (expression du Pape François).

Dès que le rejet s’insinue dans nos cœurs, il fait trembler les murs de la charité chrétienne, charité héritée de Jésus lui-même, pilier de notre identité. L’accueil raisonné mais bienveillant doit toujours être notre moteur, quelles que soient les personnes qui se présentent aux portes de nos églises.

Chaque fois que nous apportons une écoute, un accueil ou assistance à quelqu’un, nous incarnons le visage et l’attitude du Christ. Nous devons y penser.

A nous de voir si notre groupe chrétien est un noyau attractif, ouvert sur la vie et sur le monde tel qu’il est, ou un club fermé. Jésus est venu rassembler tous les hommes de bonne volonté.

Si nous fermons les portes pour que notre groupe reste « très comme il faut », nous serons bien entre nous. Mais Jésus, peut-être, n’y sera pas. »

De même, en tant que citoyens, nous devons nous souvenir que la plupart des musulmans vivant en France sont des citoyens français. Il nous faut donc entretenir un dialogue apaisé et citoyen pour construire des ponts et non des murs. Des groupes de rencontre ont vu le jour dans nos deux diocèses, groupes où se tisse le dialogue avec nos frères musulmans, avec dans le cœur le désir que grandisse l’amitié et la confiance. Autour d’Olivier Lemaitre (délégué diocésain pour le dialogue avec les musulmans en Ardèche) et de Guy Leydier (délégué diocésain pour le dialogue avec les musulmans dans la Drôme), des projets ont vu le jour : les journées d’Aiguebelle pour faire grandir le « vivre ensemble » à l’image de ce qu’ont vécu les moines de Tibhirine. Des projets sont sur le métier : journée Ensemble avec Marie…

Mais il faut être conscient que ce dialogue est à faire vivre à tous les échelons dans l’Église : diocèses, paroisses, tous les moments de la vie religieuse… Gardons le cœur ouvert et sachons être inventifs pour que grandisse un monde de Paix plus fraternel.

Olivier Lemaitre, diacre, diocèse de Viviers

Guy Leydier, diacre, et Philippe Luciani, diocèse de Valence