« Que tous soient Un » Tibhirine au cœur du message Pascal :

Il y a quelques semaines, Jocelyne et moi, sommes rentrés d’un périple en Algérie où nous étions partis pour visiter des amis français et algériens, chrétiens et musulmans. Voyage riche en rencontres. Rencontre tout d’abord de cette Église « petite et pauvre » mais « riche » par son esprit fraternel et le don de sa vie pour tous ceux qui frappent à sa porte. Rencontre aussi de ce peuple qui crie de façon pacifique le désir de jours meilleurs. Mais au cœur de ce temps de Carême qui vient de s’achever, pour déboucher sur ce matin de Pâques où avec les femmes au tombeau, nous avons pu proclamer « Christ est vraiment ressuscité », c’est d’un lieu particulier que nous aimerions vous parler.

Tibhirine nous a accueillis au matin du 3ème jour sous un ciel en « clair-obscur », à l’image du drame qui s’est vécu ici. A l’image aussi de ce temps de carême que nous venons de parcourir, où de la nuit a surgi la Lumière et de la mort, la Vie. Nous avons visité le monastère accompagnés par les membres de la communauté du Chemin-Neuf, présente aujourd’hui dans les lieux. Avons prié dans la chapelle et dans le petit cimetière. Avons foulé les lieux où ensemble ils ont vécu, travaillant la terre avec les villageois, soignant les malades, créant avec chacun une relation fraternelle.

Il a fallu du temps pour que les hommes s’« apprivoisent » comme le raconte Christian de Chergé. Du temps et quelques belles rencontres ! Près de Tiaret, Christian, jeune officier, fait son service militaire. Il rencontre Mohammed, un garde champêtre illettré, dont la profondeur spirituelle s’exprime au cours de leurs conversations : « Il m’a été donné de rencontrer un homme mûr qui a libéré ma foi, écrit-il… Notre dialogue était celui d’une amitié paisible qui avait Dieu pour horizon…je le voyais pratiquer prière et jeûnes avec un cœur enjoué ». Mohammed le protège lors d’une attaque. Le lendemain il est assassiné et Christian écrit plus tard : « Dans le sang de cet ami, j’ai su que mon appel à suivre le Christ aurait à se vivre tôt ou tard dans le pays même où il m’avait donné le gage du plus grand amour ». Christian le savait menacé et lui avait dit qu’il priait pour lui. Mohammed lui avait répondu : « Je sais que tu prieras pour moi, mais vois, les chrétiens ne savent pas prier. » « J’ai su du même coup que cette consécration devait se couler dans une prière en commun pour être vraiment témoignage d’Eglise et signe de la communion des saints ».

Christian raconte une autre expérience fondatrice de sa relation à l’islam d’Algérie : une nuit de prière avec un Algérien au monastère de Tibhirine : « Il y a eu plusieurs interventions inexplicables où pouvait se reconnaître la façon de Dieu. Tout semble culminer en ce jour, en cette rencontre sollicitée par un hôte musulman dans la paix d’un soir après complies. Nos voix se sont associées et soutenues l’une l’autre pour se fondre en louange de l’Unique, de qui nait tout amour, dans la demande commune : apprends-nous à prier, dans la récitation de la Fatiha et du Notre Père. Cet événement n’est pas un rêve, c’est un fait. Comme tel il a incarné l’immense espérance de mon appel et m’a fait vivre, l’espace de trois heures, ce que ma foi savait possible pour les siècles des siècles. »

Il trouve sa place de priant, non seulement au milieu des priants de l’islam mais avec eux dans une prière commune, il a fait une expérience de cette communion des saints dans laquelle il voit déjà réunis les chrétiens avec les croyants de l’islam.

« Désormais, comment ne pas croire viable, au jour que Dieu seul voudra, une communauté de prière où chrétiens et musulmans se recevront en frères de l’Esprit qui les unit dans la nuit ».

 

Ces paroles de frère Christian nous plongent au cœur même de ce que nous venons de vivre à Pâques, avec dans le cœur, cette belle prière que Jésus fit à son Père peu de temps avant d’être arrêté : « Père que tous soient Un, comme toi, tu es en moi et moi en toi » (Jean 17, 21)

Philippe et Jocelyne Luciani